Où va la RDC ? Trois scénarii sur l’avenir de la coalition FCC-CACH

Depuis le discours historique du Maréchal Mobutu du 24 avril 1990, la République Démocratique du Congo (RDC) s’efforce de domestiquer le modèle de gouvernance démocratique libérale. En 30 années, cet effort s’est avéré très laborieux du fait, entre autres, d’un déficit criant de culture démocratique aussi bien dans le chef des classes dirigeantes qu’au sein des masses populaires.

La démocratie libérale, qui s’applique à des entités territoriales trop étendues pour s’accommoder d’une démocratie directe, a entre autres caractéristiques essentielles la légitimation des corps intermédiaires censés agréger les intérêts de la collectivité et les articuler auprès des gouvernants. Il s’agit de partis politiques, des organisations non-gouvernementales, de syndicats, de groupes de pression, etc.

La RDC qui, depuis 1990, s’emploie à enraciner la démocratie libérale, n’a pas dérogé à la règle des corps intermédiaires mentionnée ci-dessus. En ce qui concerne particulièrement le champ politique, il est important de rappeler que, depuis 1990, une multitude de partis et regroupements politiques ont été successivement créées, avec des fortunes diverses, dans l’objectif d’agréger et d’articuler les intérêts du peuple congolais dont le sort n’a curieusement pas connu d’embellie significative au cours de la même période.

A la suite des élections présidentielle, législatives et provinciales du 30 décembre 2018, deux grands regroupements politiques se sont adjugé l’essentiel du pouvoir d’Etat en RDC. Il s’agit du Front Commun pour le Congo (FCC) et du Cap pour le Changement (CACH). Alors que le CACH jouit du privilège d’occuper l’institution suprême du pays, à travers le Président Félix Antoine Tshisekedi, le FCC reste hyper-dominant dans le gouvernement, les deux chambres du parlement ainsi que les exécutifs et les assemblées de la vaste majorité de provinces du pays. En outre, l’influence du FCC reste de mise au sein du secteur diplomatique, dans les entreprises étatiques et paraétatiques ainsi que dans la territoriale (mairies, communes, territoires…) où des personnalités proches du FCC restent en place plus d’une année après l’alternance du 24 janvier 2019. Quoique théoriquement apolitiques et neutres, le secteur judiciaire et les forces de défense et de sécurité continuent à être perçus à ce jour comme des sphères dans lesquelles le FCC aurait également des tentacules. Ceci revient à dire que la coalition FCC-CACH, dont dépend actuellement la destinée de la RDC, est en réalité un arrangement politique largement déséquilibré et qui soulève des interrogations quant à son avenir et, par ricochet, celui de toute la République.

IMG 20200302 WA0192 Où va la RDC ? Trois scénarii sur l’avenir de la coalition FCC CACH

Mais, vus de l’intérieur, le FCC et le CACH sont loin d’être des entités monolithiques et cohésives. Le premier ressemble à un « fourre-tout » rassemblant en son sein l’ancienne Majorité Présidentielle (MP), des partis et regroupements politiques s’étant distanciés de l’opposition à la faveur des dialogues politiques de la Cité de l’Union Africaine et du Centre Interdiocésain de 2016 ainsi que d’anciens activistes de la société civile. Le CACH a, pour sa part, été à ses origines l’œuvre des dissidents de la coalition LAMUKA créée à Genève après qu’ils eurent renoncé à leurs engagements antérieurs face aux « agitations » de leurs « bases » respectives. Ces dissidents de LAMUKA furent ensuite rejoints par leurs alliés traditionnels et d’autres groupes politiques et de la société civile dans un jeu de positionnement politique préélectoral et post-électoral caractéristique de la classe politique congolaise.

Pour ce faire, le moins que l’on puisse dire est que le FCC et le CACH sont, chacun en ce qui le concerne, des regroupements politiques trop hétérogènes pour être cohérents. L’épisode AFDC-A autour du perchoir du Sénat, en ce qui concerne le FCC, et les insinuations des militants et de certains dirigeants de l’UDPS contre le Président de l’Union Nationale Congolaise (UNC), également Directeur de cabinet du Président de la République, sont des illustrations des malaises internes aux deux regroupements constitutifs de la coalition FCC-CACH. Et concernant la coalition elle-même, il y a lieu de noter que les frictions à répétition entre les deux partenaires, reflétées à travers les déclarations du Président Tshisekedi devant la communauté congolaise à Londres en janvier 2020 et les vives réactions qui en ont résulté de rangs du FCC, poussent tout observateur avisé de la scène politique congolaise à s’interroger sur l’avenir de la coalition FCC-CACH.

Les lignes qui suivent présentent trois scénarii à ce sujet, parmi tant d’autres. Les conséquences de chacun de scénario seront développées dans un prochain article.

Le premier scénarioconsiste au maintien du statu quo actuel, dénommé ici « scénario du mythe de la coalition ». Ceci signifie que le FCC et le CACH garderaient leur dominance actuelle dans les différentes institutions de l’Etat. Mais l’implication de ce scénario est que la logique actuelle de la coalition et de son déséquilibre serait également transposée à la diplomatie, aux entreprises étatiques et paraétatiques ainsi que dans la territoriale, comme cela a semblé d’ailleurs être le vœu du Chef de l’Etat lors de son adresse devant les deux chambres du parlement le 13 décembre 2019. La conséquence de la matérialisation de ce scénario sera la persistance des frictions entre le FCC et le CACH et la reproduction du mode de gouvernance actuel du pays caractérisé par la stagnation socio-économique, l’inefficacité de l’action gouvernementale, la non-résorption de l’insécurité à l’Est du pays, etc.

Le deuxième scénarioest celui de la dissolution ou« scénario apocalypse ». Il sous-entend que, face à sa situation actuelle d’affaiblissement inquiétant, le Président Tshisekedi décide de dissoudre l’Assemblée Nationale, bien sûr en se servant d’une crise artificiellement créée ou pas entre le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Législatif. C’est le scénario à l’issue la plus incertaine.

Quatre pistes sont à envisager à ce sujet. Primo, la décision du Président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale n’est contestée ni par cette dernière, ni par le FCC. Le Premier Ministre soumet sa démission au Président de la République ; ce dernier met en place un Gouvernement Intérimaire qui organise, avec la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), des élections législatives anticipées, libres et transparentes dans un délai de 60 jours ou un peu plus. C’est la piste de la « dissolution idéale ».

Secundo, la décision du Chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée Nationale est contestée par le FCC. Des députés membres de ce regroupement politique saisissent la Cour Constitutionnelle en vue de l’annulation de la décision du Chef de l’Etat pour inconstitutionnalité. Ils obtiennent gain de cause et le Parlement s’appuie sur l’arrêt de la Cour pour destituer, avec succès, le Président de la République. Le Président du Sénat devient Président de la République par intérim et des nouvelles élections présidentielles sont organisées dans un délai de 90 jours ou un peu plus. C’est la piste du « discernement démocratique ».

Tertio, les regroupements FCC et CACH connaissent en même temps ou de manière séparée une implosion interne. En ce qui concerne le FCC, cette implosion peut être provoquée par les frustrations internes, la recherche des nouveaux positionnements ou le désir d’autonomisation de la part de certains acteurs. Du côté du CACH, l’implosion pourrait prendre deux formes : soit, une séparation entre l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et son principal allié, l’Union Nationale Congolaise (UNC) au terme d’une vaste campagne de diabolisation montée par les militants de l’UDPS et certains de ses dirigeants contre le Directeur de Cabinet du Président de la République et qui conduit à son éviction; soit, par la décision du Directoire de l’UNC sous pression de sa base exigeant la rupture avec l’UDPS pour des raisons de redynamisation/réorientation de sa politique en vue d’une nouvelle configuration électorale. C’est la piste du « suicide politique », autant pour le CACH que pour le FCC.

Quarto, comme dans le cas de « discernement démocratique », la décision du Président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale est attaquée devant la Cour Constitutionnelle. Cependant, avant même que la Cour ne se prononce sur le cas, des officiers des Forces de Défense et de Sécurité s’emparent du pouvoir, démettant le Président de la République et suspendant la constitution. Ils dissolvent le Gouvernement, le Parlement et les Hautes Cours. Malgré des contestations et sanctions internationales, ils se maintiennent au pouvoir et organisent des élections présidentielles et législatives auxquelles ils ne se portent pas candidats dans un délai d’une année ou plus. C’est la piste de la « table rase ».

Enfin, le troisième scénarioest celui de l’affirmation présidentielleou « scénario d’entérinement de l’impérium ». Ceci signifie que la coalition FCC-CACH parvient tant bien que mal à survivre à ses nombreuses crises. Cependant, le Président de la République réussit à élargir tant soit peu son champ de pouvoir en diminuant graduellement la « toute-puissance » du FCC. Ainsi, parvient-il à faire mettre en place une CENI davantage autonome. Il fait organiser des élections urbaines, municipales et locales. Il nomme des Ambassadeurs et des Mandataires publics sans référence aux arrangements de partage du pouvoir souhaités par les cadres du FCC et du CACH. Bref, le Président de la République parvient à contenir le FCC, à accroître l’influence du CACH dans la sphéricité de l’Etat et rend possible une relative percée de LAMUKA dans la territoriale grâce  aux élections précitées.

Somme toute, en assumant l’essentiel du pouvoir d’Etat, la coalition FCC-CACH détient actuellement entre ses mains la destinée de la RDC. Par conséquent, le fonctionnement interne au FCC et au CACH, leurs rapports réciproques ainsi que les perspectives sur l’avenir de leur alliance devraient préoccuper au plus haut niveau les analystes spécialisés de la politique congolaise ainsi que les laboratoires d’analyse stratégique de chacune de cette plate-forme.

Les scénarii présentés dans cet article ne sont pas, certes, les seuls possibles sur l’avenir de la coalition FCC-CACH. Ils permettent, néanmoins, de comprendre qu’autant les clivages internes au FCC et au CACH et les nombreuses contradictions entre eux semblent destiner leur coalition à une rupture certaine, autant la marge d’action disponible au Président Tshisekedi pour matérialiser le « changement radical » attendu par les Congolais et promis par lui reste extrêmement étroite. Toutes choses qui poussent à conclure que la direction que prendra la RDC sous le gouvernail FCC-CACH reste difficile à prédire.

Par Jean-Eudes BISONGA, Consultant International, spécialiste des questions de paix et de sécurité

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