RD Congo : Quand la crème intellectuelle analyse la situation du pays.
La République Démocratique du Congo traverse actuellement une situation d’incertitude politique consécutive au processus électoral de 2018-2019. En effet, la forte préoccupation pour le régime précédent à se maintenir au pouvoir a eu pour conséquence, entre autres, l’organisation des élections présidentielle, législatives et provinciales du 30 décembre 2018 dont l’intégrité et la transparence étaient sujettes à caution. La crédibilité de leurs résultats, restés jusqu’à ce jour inaccessibles au public, contrairement aux prescrits de la loi, a d’ailleurs été remise en question aussi bien par des acteurs, partis et regroupements politiques que par des organisations de la société civile, y compris l’Eglise Catholique.
Le pays va mal. C’est, en tout cas, ce que pense bon nombre des congolais. Plusieurs signes en font témoignages : les invalidations en cascades des députés élus tout récemment, les manifestations de protestations à travers le pays, des memoranda déposés par plusieurs corporation aux présidents des assemblées provinciales, les voyages jugés de trop du président de la république, les sit–in devant l’Assemblée Nationale, les affrontements entre les militants du FCC et ceux de CASH, et la situation socio-économique qui se détériore de plus en plus. Ajouter à cela, le gouvernement qui se fait attendre. Des signes qui, selon certains, prouvent à suffisance que le pays est malade. Nous avons échangé avec quelques personnes autour de la situation actuelle du pays.
Pour le Professeur Alphonse MAINDO, Professeur à l’Université de Kisangani, Félix TSHISEKEDI est entrain de tenter de s’émanciper de son mentor. Il est dans une stratégie de désenclavement pour desserrer l’étau FCC. Depuis son investiture en janvier dernier, le président de la République a effectué plus de vingt voyages à l’étranger, y compris au Rwanda. Pour lui, Il utilise deux leviers majeurs.
« La diplomatie pour avoir des soutiens internationaux et régionaux et le populisme étroit limité jusqu’à présent à la base de l’UDPS et baluba qu’il instrumentalise et chauffe à blanc avec KABUND. Il lui faut ratisser plus large. Mais c’est un jeu très dangereux susceptible de lui coûter cher. C’est à se demander si ce n’est pas justement ce que Joseph KABILA et le FCC attendent de lui, le pousser à instrumentaliser sa base pour générer une instabilité et rendre le pays ingouvernable et donc un mandat infructueux avec un bilan négatif. Je l’avais déjà dit maintes fois. Joseph KABILA laissera Félix TSHISEKEDI faire au mieux comme lui, mais vraisemblablement pire que lui pour se faire regretter ou provoquer une guerre ou une crise grave qui oblige à négocier un accord et faire un gouvernement d’union mais aussi revoir les textes constitutionnels ».
L’alliance FCC-CASH n’est contre-nature que pour ceux qui n’ont pas été au parfum des clauses. Elle est pourtant solide, très solide même voire vitale aussi bien pour le FCC que pour le CASH, pense le professeur Billy BOLAKONGA, Recteur de l’Université Mariste du Congo à Kisangani. Il s’agit en réalité d’une symbiose où chaque partie tire des bénéfices réciproques. Mais avec sa longueur d’avance, le patron du FCC anticipe toujours et avait presque tout calculé. Il avait déjà songé à verrouiller le système pour maintenir la symbiose intacte. Le Professeur Billy BOLAKONGA espère que les voyages à répétition de Félix TSHISEKEDI rentrent dans une stratégie qui pourra porter des fruits assez rapidement. Dans ce cas, pense-t-il, elle consisterait à consolider ses liens avec le plus grand nombre de ses pairs afin de mieux s’affirmer.
« Dans le cas contraire, si les dividendes ne sont pas rapidement perceptibles ni pour lui ni pour le pays, cela ressemblera plus à un tourisme stérile qu’à autre chose. Quand on vient de prendre le pouvoir, peu importe la façon, il faut consolider son image, agir efficacement de manière à répondre aux attentes du peuple pour susciter son adhésion effective et massive. Mais, la grande question est de savoir si le FCC lui laissera les mains libres quand on connait sa mauvaise foi traditionnelle et ses méthodes peu orthodoxes de gestion ».
Pour le professeur Billy BOLAKONGA, la question reste entière : à quoi s’était réellement engagé Félix TSHISEKEDI ?
« Lui seul le sait. Il peut vouloir s’émanciper de la tutelle encombrante de son mentor mais le peut-il seulement ? En a-t-il évalué les risques ? Ses voyages s’inscrivent-ils dans cet objectif ultime pour mieux servir le peuple d’abord ? En tout cas, il gagnerait beaucoup, s’il tient à réussir et à sauver son image, à s’affranchir rapidement de ce mentor peu recommandable et clairement honni par le peuple. Il y a là, deux possibilités : soit que les combattants croient en l’effectivité du pouvoir de Félix TSHISEKEDI, s’étonnant du manque de poigne de leur champion, alors là ils baignent dans une mousse d’illusion; soit que quelques cadres de l’UDPS se servent des combattants qu’ils incitent furtivement à se soulever pour espérer faire réagir le président, dans son amour-propre, d’homme revêtu de l’étoffe du chef d’État. Dans tous les cas, on peut comprendre ces manifestations comme le signe d’une lassitude ou d’une impatience des combattants devant la mollesse ou la quasi absence de réaction à la hauteur de l’arrogance et du désir à peine voilé des acteurs de FCC de tout avoir alors qu’ils drainent derrière eux un bilan largement négatif sur tous les plans ».
Les élections tant souhaitées afin d’assurer l’alternance politique, de légitimer et de légaliser les pouvoirs des dirigeants politiques semblent ne pas parvenir à cette fin. C’est ce que pense le Professeur Matthieu KIRONGOZI, enseignant à l’Université de Kisangani. Cela, estime – t –il, suite aux contestations des résultats des élections tant à la présidence, aux législatives et aux sénatoriales.
« Le nouveau Président proclamé élu par la CENI et confirmé par la cour constitutionnelle, ne bénéficiant pas de la majorité à l’Assemblée Nationale a signé une coalition avec le FCC, famille politique du Président sortant, afin d’avoir la majorité et de former le gouvernement avec ce dernier. Dans la gestion des ministères de souveraineté, les deux familles en coalition (FCC et CASH), n’émettent pas sur la même longueur d’onde car, le FCC très majoritaire au sein de la coalition, voudrait avoir la direction des ministères clés dont l’intérieur, les finances, les affaires étrangères et la défense, secteurs à travers lequel le nouveau président aimerait aussi avoir la main mise pour imprégner sa marque et apporter une autre donne de gestion qui soit différente du régime sortant. Cette guerre d’intérêt au sein de la coalition bloque l’appareil de l’État qui fonctionne en ralenti alors que le pays est en face des grandes urgences notamment la situation sécuritaire à l’Est du pays qui ne fait que s’empirer, l’épidémie d’Ebola dans ce même Est qui ne fait que gagner du terrain, la rémunération des agents et fonctionnaires de l’État préoccupe de plus en plus des nombreuses familles car, incapable de nouer les deux bouts du mois. Bref, la situation du pays est préoccupante et laisse entrevoir de l’incertitude quant à un avenir paisible, stable et meilleur. Que faire ? Cette importante question est à plusieurs facettes de réponse. Sous l’angle politique, il est à noter que l’injustice sociale, l’impunité, la fraude, la corruption, le non respect des textes légaux voire la Constitution sont les maux qui justifient l’Etat actuel de notre pays, et pour lesquels les solutions doivent être urgemment trouvées ».
« Tout début a toujours été difficile. La RDC vient de vivre sa première transition politique au sommet de l’État. Il est compressible que cette première expérience connaisse à son début des turbulences ». C’est avec optimisme que le juriste et député provincial Théoveul LOTIKA aborde la situation du pays. Pour lui, la situation trouble du pays va vite passer à condition que le chef de l’État soit clairvoyant et sage car se trouvant dans une situation compliquée.
« Le FCC, nouveau allié du CAHS, est en réalité son pire ennemi d’hier. L’échec de Félix TSHISEKEDI ne dérangerait pas, mais soulagerait au contraire, pour des raisons évidentes. LAMUKA qui naturellement devrait être le partenaire du pouvoir en place se révèle son véritable adversaire car estimant que sa victoire a été volée. Ainsi, le chef de l’État se trouve face à deux grandes forces » ennemies » qui chacune ne lui souhaite que malheur. Dépourvu d’une majorité au parlement, le chef de l’État ne doit pas oublier qu’il est lui même une institution à l’instar de toutes les autres et, à ce titre, il a des prérogatives importantes et significative. Il doit se rappeler que de part la constitution, il est celui qui représente la nation. Il est le symbole de l’unité nationale. Il est celui qui veille au respect de la constitution; assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des autres institutions ainsi que de la conduite de l’État. Le Chef de l’État est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale »
Pour cet élu de la ville de Kisangani, l’absence d’une majorité au parlement ne doit pas être considérée par le président comme un handicap, mais un effet incitateur qui pourra lui permettre de travailler doublement et efficacement.
Euphrasie ILUNGA, une congolaise vivant en France, estime que la mal congolais est profond. Elle croyait, avec les dernières élections, que le changement interviendrait sur tous les plans et que les conditions de vie des populations allaient être la priorité.
« Mais, hélas. Il me semble que c’est la continuité de l’ancien régime. La mentalité, non seulement de nos dirigeants, mais aussi de la population congolaise sur la gérance du bien public, le nom respects de la démocratie sont très importants pour prétendre un jour être comme certains pays »
Le ma l du congolais, pense Euphrasie ILUNGA, c’est d’avoir chercher à combattre la personne que de combattre le système. Ceci a conduit le peuple congolais à une situation jamais imaginée.
Pour Jean Eudes BISONGA, Politologue et expert en renseignements de sécurité et en alerte précoce mais aussi évaluateur des politiques publiques, même si l’arrivée au pouvoir du fils de l’opposant défunt Etienne TSHISEKEDI a donné lieu à un apaisement sur le plan politique dans certaines provinces, et la décrispation politique entamée par la libération des certains prisonniers politiques ainsi que le libre retour des opposants au régime précédent soient un signal fort lancé par le nouveau régime, il sied de constater que certaines régions du pays notamment les Kivu et Ituri, dans l’Est, restent secouées par des violences et la présence des rébellions, exacerbées par l’épidémie à virus Ebola dont la politique pour sa lutte a été mal menée et mérite une réinitialisation. Ce politologue pensent que les défis à surmonter d’urgence par le nouveau régime, sont entre autres, la mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale et d’un nouveau bureau de la CENI étant donné que le mandat du bureau actuel s’achève a la fin de ce mois de juin, et la réadaptation des politiques publiques à la vision actuelle du Chef de l’Etat.
Nos interlocuteurs ont par ailleurs soulevé des questions liées aux groupes armés et aux conflits inter-communautaires violents qui demeurent un défi important pour le nouveau pouvoir. Il y a donc une nécessité de mettre en place une stratégie réaliste pour une prise en charge conséquente de cette question.
certains d’entre eux pensent que l’action du Président de la République devra comporter une importante dimension diplomatique compte tenu des sous-bassements externes des difficultés que connait la République Démocratique du Congo. Une politique régionale et continentale axée sur l’ouverture, accompagnée par l’affirmation de la position dominante du pays dans la région et le continent est essentielle. Le nouveau pouvoir devra, sur le plan international, éviter la tentation de l’inféodation au système occidental, mais plutôt affirmer une posture de non-alignement, ouvrant le pays à une diplomatie basée sur ses intérêts immédiats et futurs.