Vers une crise en République Démocratique du Congo ?
Les décisions de la réunion interinstitutionnelle sont tombées le lundi 18 Mars : annulation de l’installation des sénateur issus des élections du vendredi 15 Mars, report des élections du Gouverneurs et vice – gouverneurs. Le Président Felix TSHISEKEDI a également instruit le Procureur Général de la république de diligenter une enquête contre les corrompus et les corrupteurs dénoncés au cours de ces élections des sénateurs. Les réactions du Front Commun pour la Congo, du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie et de LAMUKA n’ont pas tardé.
Presque toutes pensent que la réunion interinstitutionnelle n’a aucune compétence sur le plan du droit pour suspendre l’installation du Sénat ou repousser la date des élections des gouverneurs, et que la constitution confère à la seule CENI la compétence de fixer le calendrier électoral, et le cas échéant, de le modifier.
Hormis, ces formations politiques, plusieurs autres voix se sont élevées pour critiquer et décortiquer les décision de la réunion interinstitutionnelle.
Politologue et Professeur à l’Université de Kisangani, Alphonse MAINDO, se dit très surpris par cette réaction du président de la république. Selon lui, il pouvait s’attendre à tout sauf à ça. Il se pose la question de savoir comment Felix TSHISEKEDI est arrivé au pouvoir. C’est part la fraude, affirme-t-il. De ce fait, il est étrange qu’un fraudeur puisse demander qu’on puisse revoir les choses parce qu’il y a d’autres fraudeurs.
« C’est une bonne initiative de vouloir rétablir de l’ordre par rapport aux élections pour qu’on puisse avoir des élections transparentes. Mais on ne peut pas résoudre le problème de la transparence des élections en s’attaquant aux épiphénomènes, aux symptômes. Il faut s’attaquer aux vraies causes. Quelles sont les vraies causes ? Les vraies causes ce que le système politique mis en place est un système corrompu. On ne peut pas avoir des bonnes élections avec un système pourri. Pour moi, je pense qu’il ne faut pas s’arrêter à mi chemin. Si on doit faire véritablement un travail de lutte anti corruption, il faut reprendre tout : les élections présidentielles et tout le processus entier ».
Il pense que cette situation ne nullement nous conduire dans une crise car, pense-t-il, le rapport des forces est en défaveur du président en place.
« Aller vers une crise, je doute fort. Je ne vois pas Monsieur TSHISEKEDI décider véritablement de rentrer dans une crise ouverte contre le Raïs Kabila pour entrer dans la confrontation ou dans l’affrontement direct, parce qu’il n’a pas les moyens, il n’a pas les capacités pour faire face à ça. N’oublions que tout l’appareil de pouvoir c’est à dire l’armée, la police, les services des renseignements, l’administration, l’assemblée nationale, la cour constitutionnelle, tous les tribunaux sont sous contrôle du président restant si on peut l’appeler comme ça. On a vu même la semaine dernière, le président togolais qui est arrivé à Kinshasa, où est ce qu’on l’a amené en premier lieu par le directeur de cabinet du président en place, du président, du président négocié, désigné ? C’est là à Kingakati pour qu’il soit reçu par Joseph Kabila. On voit bien que le centre du pouvoir est encore là où c’était avant les élections du 30 décembre ».
Certaines personnes pensent que les réactions du FCC face aux décisions issues de la réunion interinstitutionnelle sont démocratiques et concomitamment fondées. Pour eux, ces décisions sont taillées sur mesure et énerve tout esprit normal. Par ailleurs, dans un régime démocratique qui incarne un état de droit, l’interinstitutionnelle ne peut en aucun cas prendre des décisions contra legem, à la limite, elle ne peut que formuler des recommandations aux instances compétentes sans s’y immiscer.
C’est le cas du professeur Grison-Trésor KAKUMBI BELUMBA, Philosophe et enseignant à l’Université de Kisangani, qui estime qu’un communiqué d’où qu’il vienne n’abroge pas la loi, sinon c’est de l’anarchie.
« La loi prévoit l’installation du bureau dans les quinze jours après la proclamation des résultats provisoires et la même loi ouvre la porte au recours en fixant un délai pour le traitement de contentieux électoral. Appliquons scrupuleusement les textes, n’inventons pas la roue parce qu’elle est déjà là.
En quoi le report des élections des gouverneurs rassure la crédibilité des enquêtes de la justice sur la présumée corruption aux élections des sénateurs ou peut arrêter l’hémorragie de la corruption ? Quel rapport entre les sénatoriales et les élections des gouverneurs face à la question de corruption ? Peut-on appréhender les corrupteurs et les corrompus en dehors de la période électorale ? ».
Il estime par ailleurs que beaucoup de provinces vivent dans une situation de l’absence de l’autorité de l’État. De ce fait, la population attend de ces élections une lueur de la restauration de l’autorité de l’État et l’espoir d’un nouveau souffle de gouvernance pouvant assurer un développement intégral et durable de l’entité. Retarder les élections des gouverneurs par un communiqué d’interinstitutionnelle non seulement c’est court-circuiter une institution indépendante qu’est la CENI mais également imposer un supplice à la population qui vit dans le désarroi et la perte d’espoir d’une vie bonne ».
Certains observateurs constatent que les décisions prises par Felix TSHISEKEDI depuis son investiture ne sont pas muries et qu’elles sont prises à l’emporte-pièce au gré des humeurs des sympathisants désabusés.
C’est l’avis du Professeur Billy BOLAKONGA, Recteur de l’Université Mariste du Congo et enseignant à l’Institut Facultaire de Yangambi. Il se pose la question de savoir si c’est le leader qui éclaire ou si c’est plutôt lui qui est éclairé par « la base ».
« La preuve du fait que la décision n’est pas murie réside dans l’absence criante de soubassement juridique! Et l’on voit déjà des levés des boucliers de juristes de toute part l’évoquer. Mais, j’insiste: les élections ou mieux tous les résultats des scrutins sont sujets à caution dès le départ. La corruption est une pourriture, dois-je rappeler. Puisqu’il en est ainsi, on ne peut pas refuser les résultats des sénatoriales et accepter « sagement » ou naïvement les présidentielles, les nationales et les provinciales dont émanent justement les sénatoriales en cause. Il faut tout reconsidérer ou tout reprendre pour aseptiser correctement le système. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut espérer une société juste, pétrie des valeurs pour, _in fine,_ espérer un vrai développement de la RDC sur des bases solides. Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut espérer une société juste, pétrie des valeurs pour, _in fine,_ espérer un vrai développement de la RDC sur des bases solides. »
Pour lui l’accord était mal ficelé, assis sur un tissu des mensonges comme dans un véritable marché des dupes et qu’on ne peut pas s’étonner qu’on en arrive là. Il pense que c’est une foire des menteurs et que les consensus ne seront que provisoires et sujets à des reconsidérations fréquentes jusqu’à ce qu’il ne sera plus possible de rabibocher quoi que ce soit. Ce sera alors l’implosion définitive. Cela peut arriver à tout moment et peut-être plus tôt que prévu ou qu’on peut l’imaginer.
Pour Idelphonse LOKANGU, membre du CCU et Ministre Provincial des Finances dans la Province de la Tshopo, le pays n’est pas encore au bord de la crise. Il suppose, quant à lui, que le président de la cour constitutionnelle a donné son avis favorable pour qu’il y ait retardement de l’installation des sénateurs. Mais, selon lui, cette décision viole l’article 114 de la constitution qui dit que la session extraordinaire est convoquée 14 jours après l’élection des sénateurs.
« Le FCC peut donc saisir la cour constitutionnelle pour qu’elle se prononce sur l’article 114. Et le président de la cour constitutionnelle pourrait donner les raisons qui ont fait à ce que cette décision soit prise au cours de cette réunion interinstitutionnelle. Ca sera peut être là une crise. A ce stade, nous pouvons dire que la voix politique pourrait prendre le dessus pour qu’il n y ait pas une crise prématurée. Mais toutefois, cette façon de violer la constitution qu’il y aurait peut être une crise dans le futur par rapport au FCC qui a la majorité et qui peut bloquer toutes les initiatives du président de la république, ou le président de la république peut décider la dissolution de l’Assemblée nationale. ».
Mais il estime que tous ces scénarios apocalyptiques ne sont pas à souhaiter par rapport à tous les problèmes sociaux que connaît le pays. Il faut plutôt encourager le FCC et le CACH à harmoniser les vues et favoriser une bonne cohabitation dans la coalition.
Plusieurs autres personnes pensent que les décisions d’un président de la République passent par une ordonnance-loi et non par des communiqués comme cela se passe actuellement en RD Congo.
Sébastien MULAMBA est journaliste. Il est le responsable du journal Kisangani news. Il estime que l’élection des sénateurs est entachée de beaucoup d’irrégularités. En dehors de la corruption dénoncée par plus d’un, il note aussi que les règlements intérieurs de toutes les assemblées provinciales ne seraient pas encore déclarés eux aussi conforme à la constitution.
« À ce titre, même les bureaux définitifs des Assemblées Provinciales posent de sérieux doute quant à leur légalité. Parlant de la corruption dans le processus électoral dans notre pays, elle est permanente. C’est depuis 2007 que cette pratique avait commencé jusqu’à ce jour. Même si on reprend cinq fois les élections au second degré, il y aura toujours corruption, dès lors que les présumés corrompus et corrupteurs n’ont pas été jetés en prison ».
Il explique que la coalition CACH, n’ayant pas obtenu la majorité au parlement, a joué dans un premier temps au débauchage d’autres élus afin d’équilibrer le rapport des forces, chose qui n’a pas marché. Coincé, selon lui, CACH craint d’être pris a pied levé et voir toutes les initiatives provenant de cette plateforme électorale au pouvoir être rejetées par la majorité parlementaire.
L’avenir nous en dira peut être un peu plus.