Censurer plutôt la censure (Tribune de José Nawej).
Interdite, censurée, suspendue ? Mises à part les différentiations juridiques et les nuances sémantiques, l’effet boomerang est le même. Depuis la nuit des temps, la censure d’une œuvre de l’esprit propulse généralement cet opus plutôt qu’elle ne l’écrabouille. Depuis Adam et Eve, l’interdit attire …
En criant haro sur le baudet par rapport à la chanson « Nini tosali te« , les pouvoirs publics ont-ils fait œuvre utile? Pas sûr. Au contraire, cette mesure semble avoir enclenché la mécanique de la censure : aiguiser la curiosité et donc l’intérêt du public envers l’œuvre censurée. Publicité assurée sans frais ou presque. Et à l’ère et à l’heure des réseaux sociaux, ce n’est plus sous le manteau, mais sur les écrans de téléphone que le produit interdit ou suspendu fait le tour du pays.
Plus fondamentalement, la chanson du groupe… « MPR » n’est pas la première qui peigne la société telle qu’elle est ressentie dans et par le pays réel. Deux ou trois ans seulement après l’accession du Général Mobutu au pouvoir en 1965, Rochereau larguait: « Zando ya malonga« . Un opus qui faisait déjà état de la déglingue et dégringolade sociale.
Sans être exhaustif, dans les années 90, l’abbé Makamba dans « Po, po, po… botiaki tembe » se demandait pourquoi le peuple mourrait de faim alors que les cours d’eau sont pleins de poissons et les forêts remplies de gibiers.
Les Zaïrois redevenus Congolais ont, en effet, le sentiment d’avoir tout fait, tout essayé. Ils ont enregistré mille et une promesses des lendemains qui chantent avant de déchanter. Ils ont écouté quantité d’oracles présageant des miracles. A l’arrivée, des mirages et des manèges à torturer les méninges.
Ce cycle d’espoirs déçus, de soifs inassouvies, de faims sans fin et de paix sans pain semble avoir la peau dure. Il survit au temps et aux pouvoirs. Mieux, il défie cycliquement ceux que le peuple a déifiés hier.
Que faire que l’on n’a pas encore fait? Peut-être que les sorciers que Zamenga et Luambo-chacun dans leur genre- ont évoqués dans leurs œuvres respectives sont toujours à l’œuvre. « Bandoki ba sili te« , chanta Franco en 1984.
Moralité, plutôt que d’être vent debout contre « Nini tosali te », les gestionnaires de la République d’aujourd’hui devraient trouver matière à interpellation collective. Sauf dans des cas avérés d’atteinte aux bonnes mœurs, censurer la censure au lieu de censurer la création artistique. Au risque de mettre au goût du jour la célèbre phrase de Molière dans l’Avare. A savoir, « qui se sent morveux, qu’il se mouche« .
José NAWEJ