Etat de la nation : « une tribune de la savanterie sophistique pour démontrer un talent oratoire  » (Dixit Prof Alphonse MAINDO)

Par le Professeur Alphonse MAINDO.

Parler, parler et encore parler ! Entre deux voyages, lors des voyages, toujours parler et parler. Certes, nous le savons, tous les étudiants de première année de science politique le savent et l’apprennent bien, la politique est davantage un travail sur les représentations du réel qu’un vrai travail sur le réel. Mais de là à limiter son travail politique à la logomanie pour passer maitre de la parole, c’est un virage important frisant une catharsis, la catharsis de l’impuissance du Chef suprême de la puissance publique. A n’en point douter, au regard de la longueur du discours, sur base des tribunes antérieures (assemblée générale des nations unies, union africaine, etc.), il est clair que l’art oratoire est une catharsis pour lui. C’est comme si inconsciemment peut-être, il veut ressembler en tout à un autre, à un ancien Chef éclairé, « l’homme du 24 » qui a bercé toute son enfance et sa jeunesse.

Sous les tropiques, la parole est réputée très puissante. Il n’est pas rare d’entendre interpeller un enfant indocile ou épris de liberté en lui promettant la malédiction s’il n’écoutait pas les aînés. Car les sages, que dis-je ?, les anciens affirment détenir la force hyperpuissante de la parole. D’ailleurs, le Maitre des Temps et des Lieux n’a-t-il pas tout créé par la parole, la simple parole. Il lui a suffi de dire : qu’il y ait la terre pour que celle-ci fût. Si tu crois, tu verras. Avec la foi on peut tout. Dès lors, on comprend la profession de foi au béton par les bâtisseurs tant c’est une matière fort résiliente face à de nombreuses menaces et avaries (feu, pluie, etc.). Le béton lui-même se dresse droit et fier de l’effet qu’il fait à ses fidèles croyants. Qu’importe ! Que les œuvres soient là où tardent à arriver, c’est que ce sont des hommes de peu de foi qui ne verront aucun miracle à cause de la dureté de leur cœur. L’église universelle ou locale, que dis-je ? surtout tropicale, prospère sur la profession de foi. Que la coalition s’apparente à un mélange du ciment et du bitume, c’est encore du béton. Qu’elle véhicule de caillots dans les veines de la république en se transsubstantiant en coagulation qui sonnera un arrêt cardiaque ou un AVC alliage, les fidèles, en chœur, se répandront en louanges que c’est toujours du béton.

Ce béton est décidément bénéfique pour tous et toutes, pour ceux qui peuvent être payés en cash ou cachetés partenaires de la coalition pour la République, mais aussi pour ceux dont les fronts ont été conçus pour le Congo (FCC). Il est peut-être simplement le Pygmalion des temps modernes pour le Congo Galatée. Même ceux qui ne croient pas encore auront le salut au béton prêt au sacrifice suprême pour l’amour de la nation et en dernier rempart pour les articles bétonnés de la constitution. Oui, tel est le crédo ! Ce credo se décline se résume dans un autre passage de la bonne nouvelle dans la recommandation du Père : le peuple d’abord ! Là gît le béton armé. A l’issue de la profession de foi, vient la litanie des saints en commençant Zeus lui-même bien installé à Kingakati en passant par les autres dieux et même déesses comme Héra et Minerva, etc. Seul petit diable dans la romance des sacrosaints, le petit morveux de Panzi qui trouble le grand bal des saints et hante régulièrement leur sommeil. Il faut lui adresser une parole vitale pour le convertir dans la foi au culte du béton. Ce culte de la parole béton rappelle étrangement la situation d’une société peinte par Molière dans Les femmes savantes.

En effet, le béton trône ou plutôt préside au bâtiment national tel un savant, eh oui, vous avez bien lu, mais pas au sens de wébérien (Le savant et le politique) mais de Molière (Les femmes savantes). A l’instar des femmes savantes de Molière qui, sous l’influence de leur maître Trissotin, prétendent cultiver l’art de parler avec élégance, le président savant multiplie des exercices oratoires plutôt que des actions gouvernementales. Mais comment gouverner, transformer un pays lorsque les mots pour dire la gouvernance et la transformation sociopolitique sont toujours jugés comme trop vulgaires ? A la suite de Molière, il est temps de dénoncer les ridicules de ceux qui font du langage un instrument de pouvoir, au mépris de la sincérité, de l’action transformative. Alors, quand le président savant parle pendant deux heures et demie dans sa tentative de mimer le léopard savant de Kawele, est applaudi plus de vingt fois par les fidèles en transe et réussit l’exploit d’endormir certains invités de marque, c’est sous l’influence de son maître Trissotin. Il parle pour le rassurer, vantant le mérite d’un ménage atypique que tout le monde voit couler, à vaut l’eau comme le titanic. Dès lors, son discours fleuve ressemble fort à une authentique catharsis personnelle.

Pour donner quelque crédit à la prédication, des menus miracles ont été autorisés comme pour répondre à Jean le baptiste: des prisonniers politiques ont été libérés (il y en a encore légion), la paix est retrouvée au Kasaï et au Tanganika et le sera bientôt au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, les groupes armés sont en déroute, l’économie va bien, l’école est gratuite (mais quelle école ? quelle fausse gratuité !), les ponts et chaussées sont réhabilités, l’Etat de droit est de retour, la corruption ne connaît plus de répit, les droits de l’homme sont garantis, etc. Dans ce contexte, les massacres de Beni, qui devraient traités considérés comme un génocide contre un peuple, sont présentés désormais comme les agitations et tribulations de la fin des temps, des derniers moments du Tentateur. C’est du béton cet argumentaire oratoire funeste qui a le mérite de dispenser de faire des oraisons funèbres à chaque nouveau carnage. Il ne faut surtout pas nier la bétonification générale et bénéfique qui va s’étendre à la consolidation du pouvoir du peuple d’abord, eh oui, le peuple d’abord.

Le peuple doit se choisir librement et directement ses dirigeants pour avoir son pain et la paix. Adieu l’élection au second degré des Gouverneurs par des édiles indignes. Vive le peuple d’abord. Non à l’élection souhaitée du Grand Oratoire savant au second degré par les édiles corruptibles. Il doit passer son grand oral devant le peuple directement. Retour au scrutin majoritaire à deux tours donc. Malgré et à cause de tout ce beau discours, plusieurs interrogations deviennent préalables: qu’est-ce qui a changé pour que la prochaine fois le peuple soit entendu quand il exprime clairement ses choix politiques de changement ? qui va écouter et valider les choix populaires ? Va-t-on encore proclamer le perdant élu et l’élu perdant, valider, invalider et revalider les tirés au sort de la magique trouvaille, la machine à voler les voix (MAV) ? La même cour de contrainte de Kinshasa (CC) et ses cadettes cours d’abdication (CA) en provinces ? qui va organiser l’expression de ce suffrage populaire et comment ? Toujours la même commission éclectique nationale impénitente (CENI) ?

Après ces interrogations, le jury populaire fera passer l’épreuve de dissertation sur le changement du système politique, la refondation de l’Etat et de l’homme congolais, l’amélioration de la gouvernance. Quand l’on joue à qui perd gagne, la reconnaissance de la double nationalité ne va pas arranger le sort des millions des voix des électeurs congolais perdues, « en attendant le vote des bêtes sauvages ».

De là vient probablement une part importante de la crise de légitimité actuelle. Il sied de résoudre durablement la crise de légitimité des institutions et leurs animateurs qui est devenue presque ontologique tant elle perdure. On a beau faire les laudes, scandant l’intangibilité des dispositions constitutionnelles rigides, mais comment tenir sa parole de redonner au peuple son droit de cité dans le choix direct des Présidents savants provinciaux, de reconnaître la double nationalité, de revenir au scrutin majoritaire à deux tours du Président savant national sans passer par la révision constitutionnelle ? Maitre Trissotin instruire la majorité pour faire passer la/les réforme(s) qui le tien(nen)t à cœur si non aucune révision constitutionnelle ne passerait. La voie la plus simple serait alors dans un premier temps pour Maitre Trissotin de faire sauter l’article 220 interdisant la révision des dispositions intangibles car rien n’interdit sa révision. Pour les férus des belles lettres grecques et latines, le béton est une véritable incarnation d’Épiméthée (l’insensé qui réfléchit après coup). A cause de son défaut d’anticipation, il est responsable de tous les maux et vices dont souffrent les humains. A l’instar d’Épiméthée qui avait donné tous les dons, talents, qualités et attributs aux animaux, poissons et oiseaux, privant les hommes des qualités et les désarmant face aux animaux et aux dieux, le béton de Limete a tout donné au détriment de la base et du peuple sans compter les amis politiques. Pire, malgré le conseil de son frère Prométhée, il a accepté le don de Zeus, Pandora avec sa boite qui contenait tous les maux et vices avec l’espérance. Il a été séduit par la beauté de Pandora qui cèdera à la tentation et à la curiosité, en ouvrant la boîte et libérant du même coup tous les maux que subissent les Congolais depuis. C’est à son frère Prométhée, le prévoyant, d’entreprendre de réparer les fautes de son frère Épiméthée, l’idiot. Il nous faut à présent mettre en orbite notre Prométhée, le véritable rival de Zeus, pour réparer les erreurs d’Épiméthée de Limete et sauver les Congolais. Auparavant, il faut le retrouver ! Et le plus tôt sera le mieux.

En conclusion, on a assisté à une catharsis personnelle de celui qui se rend bien compte que son action présidentielle a été, est et sera marginale. Au lieu d’un véritable état des lieux de la nation, secteur par secteur, les avancées, les points d’achoppement, les voies de sortie pour aller vers la vision commune de la nation qui n’a pas été bien déclinée, et pourtant, on la retrouve dans l’hymne national et la constitution, la nation a eu droit une messe incantatoire sur fond d’une ordalie funeste. Un nouveau rendez-vous manqué, mais la confiance affichée envers son partenaire et la foi renouvelée au couple. Saluer le prix Nobel Denis Mukwege a des conséquences pratiques. Depuis bientôt un an de pouvoir savant, qu’a-t-il fait pour le libérer de sa prison à ciel ouvert de Panzi de manière à lui permettre de jouir pleinement de ses droits les plus élémentaires de citoyen, d’être humain ?

Sous l’impulsion de Maitre Trissotin, Épiméthée a fait de ce qui est un exercice constitutionnel non pas un moment fort de dresser l’état de la nation, mais une tribune de la savanterie sophistique pour démontrer son talent oratoire ou « tribunatoire » voire divinatoire, et présenter le programme présidentiel fait d’un chapelet de bonnes intentions. De ce fait, il est hors de l’esprit et de la lettre de la constitution du 18 février 2006. Selon cette dernière, c’est le premier ministre qui présente le programme de gouvernement aux élus du peuple. Vive le Président savant ! A jamais !

Alphonse Maindo, citoyen du Congo

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