Jacques Chirac et la République Démocratique du Congo

Depuis son décès, le jeudi 26 septembre 2019, Jacques Chirac est au centre des débats dans divers cercles d’intérêt socio-politique, mais surtout dans les médias. En effet, l’ancien chef de l’Etat et premier ministre français s’est éteint à l’âge de 86 ans après avoir marqué d’une encre indélébile l’histoire politique de son pays.

De nombreuses réactions continuent à être enregistrées de toutes parts sur les souvenirs que les uns et les autres gardent de ce grand – au propre et au figuré – homme politique français.

En France, beaucoup évoquent sa longévité politique, occupant des postes divers tant au niveau de sa région de Corrèze et à la mairie de Paris qu’au niveau de l’exécutif national, notamment ceux de secrétaire d’Etat, de ministre, de premier ministre et de président de la République.

En Afrique, certains se souviennent de sa défense pour le Continent sur les débats autour des relations économiques inégalitaires entre l’Occident et le reste du monde. D’autres, par contre, retiennent de « l’homme du 7 mai 1995 » ses penchants en faveur de la préservation de la Françafrique à travers sa proximité avec les régimes Bongo (Omar), Gnassingbe (Eyadema), Compaoré ou Déby, mais aussi son rôle éventuel dans la déstabilisation de la Côte d’Ivoire sous Laurent Gbagbo et du Congo (Brazzaville) sous Pascal Lissouba.

Mais que représente Chirac, dit « l’Africain », pour la République Démocratique du Congo (RDC) ?

Lorsque Jacques Chirac accède à la magistrature suprême française en mai 1995, le régime Mobutu est dans un état de dégénérescence très avancé, avec un déficit criant de légitimité sur le plan interne. Sur le plan international, le régime est sous le coup d’une multitude de sanctions et de rupture avec des partenaires bilatéraux et multilatéraux importants, y compris la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International.

Mais Chirac est très conscient du danger que représentent, pour la France, la montée de l’influence de l’Ouganda de Museveni dans la sous-région des Grands-Lacs et surtout l’avènement des anciens rebelles des Forces Patriotiques Rwandaises (FPR) au pouvoir à Kigali en 1994. En ce lendemain du génocide contre les Tutsi au Rwanda (dans lequel le rôle de la France reste sujet à débats), Chirac poursuivra la « politique zaïroise » de son prédécesseur François Mitterrand de « justification » (entendue dans son sens chrétien) du régime Mobutu. Cependant, malgré les appuis multiformes de la France de Chirac, le régime Mobutu sera chassé du pouvoir par des troupes rebelles soutenues par le Rwanda et l’Ouganda exactement deux ans après l’avènement de Jacques Chirac à la présidence française. Sans surprise, à l’avènement de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir en mai 1997, Chirac et son pays sont présentés comme des ennemis de la République Démocratique du Congo et de son peuple.

Mais, quinze mois plus tard, la France se retrouve à nouveau au cœur des développements politiques en République Démocratique du Congo lorsque le pays de Chirac devient l’avocat principal de la cause congolaise au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En effet, en août 1998, la République Démocratique du Congo replonge dans la guerre à la suite de l’effondrement de l’alliance entre Kagame, Museveni et Kabila ayant porté ce dernier au pouvoir. Conscient de l’incapacité de son armée de venir à bout des forces d’occupation, doublées de factions rebelles levées pour le besoin de la cause, Laurent-Désiré Kabila s’appuie sur Chirac pour obtenir le déploiement d’une force de maintien de la paix de l’ONU en République Démocratique du Congo et, ce faisant, assurer la survie de son régime. Et lorsque la nouvelle Mission de  l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC) montra son incapacité devant la déflagration en Ituri à partir de 1999, c’est la France de Chirac qui mobilisa l’Europe et l’ONU en vue du déploiement de l’Opération Artémis qui contribua de manière significative à contenir la crise dans la ville de Bunia et ses environs.

En janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila est assassiné ; il est remplacé par Joseph Kabila. Chirac entretiendra des relations globalement cordiales avec ce dernier et maintiendra le plaidoyer de la France au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU pour une mission de l’ONU toujours présente et davantage plus efficace en République Démocratique du Congo. D’où le sens de l’hommage lui rendu par l’ancien Chef de l’Etat congolais pour qui Jacques Chirac aura été « l’un de tout premiers » à avoir compris sa vision et à lui avoir fait confiance.

La République Démocratique du Congo se souviendra donc de Chirac comme un grand dirigeant français qui aura œuvré à préserver les intérêts français dans un pays dont la France ne peut se permettre le luxe de se passer. Si lesdits intérêts français coïncidaient plutôt avec ceux d’un régime Mobutu délégitimé, honni et décadent au milieu des années 1990, ils ont paru justifiables aux yeux de beaucoup de Congolais au lendemain de l’éclatement de la « deuxième guerre du Congo » en août 1998. Ce qui importait alors, pour la France de Chirac et la République Démocratique du Congo des Kabila, était la résolution de la « crise congolaise » à travers une intervention conséquente de l’ONU. Grâce à la mainmise de son pays sur le département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Chirac disposait d’un outil qui le rendait indispensable et incontournable aux yeux des autorités et peuple congolais, sans que cela ne lui fasse nécessairement mériter le titre de « Chirac, le Congolais ».

Etienne Kiyiro Muhindo

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