MONUC-MONUSCO, 1999-2019 : retour sur 20 années d’une quête de paix en RDC
Par Etienne Kiyiro Muhindo
Directeur des Programmes au Centre d’Etudes sur la Démocratie et la Paix Durable en Afrique (CEDPA)
L’an 2019 marque la 20èmeannée de présence ininterrompue de la force de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en République Démocratique du Congo (RDC). En effet, c’est le 30 novembre 1999 que le Conseil de Sécurité de l’ONU, à travers sa Résolution 1279, autorisa le déploiement de la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC). Déployée à la suite d’une demande expresse du gouvernement de la RDC, sous le Président Laurent-Désiré Kabila, la MONUC avait pour mission principale d’œuvrer en vue de mettre fin à la « deuxième guerre du Congo » et, ce faisant, contribuer à la pacification et à la stabilisation de la RDC.
La MONUC est restée sur le sol congolais pendant 11 années, de novembre 1999 à juin 2010, lorsqu’elle fut remplacée par la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO). Contrairement à la MONUC dont le mandat reposait essentiellement sur le maintien de la paix, la MONUSCO a représenté la matérialisation de la volonté du Conseil de Sécurité d’explorer l’imposition de la paix comme moyen pour stabiliser définitivement la RDC, particulièrement sa partie orientale.
….le déploiement de la MONUC a progressivement contribué à mettre fin aux hostilités entre les parties congolaises et étrangères impliquées dans la deuxième guerre du Congo et à consacrer la négociation comme moyen de référence pour mettre un terme à la guerre.
En 20 années de déploiement en RDC, la MONUC et la MONUSCO comptent des réalisations notables dont il est impossible de dresser une liste exhaustive dans le cadre de cette brève réflexion. Premièrement, le déploiement de la MONUC a progressivement contribué à mettre fin aux hostilités entre les parties congolaises et étrangères impliquées dans la deuxième guerre du Congo et à consacrer la négociation comme moyen de référence pour mettre un terme à la guerre. Il s’était ensuivi la signature d’un nombre d’accords entre les parties congolaises, d’une part, et entre la RDC et ses voisins, d’autre part, rendant ainsi possible la mise en place d’un mécanisme institutionnel transitionnel en RDC, le retrait des troupes étrangères et, ce faisant, la préservation de l’intégrité territoriale du pays.
….la transition en RDC avait réussi grâce à une forte implication du Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT), appuyé par son « bras séculier », la MONUC.
Deuxièmement, le travail de la MONUC a été crucial dans la réussite du processus de transition entre 2003 et 2006. En effet, à en croire certains observateurs, la transition en RDC avait réussi grâce à une forte implication du Comité International d’Accompagnement de la Transition (CIAT), appuyé par son « bras séculier », la MONUC. Pendant que le CIAT rappelait sans cesse aux composantes leur engagement en vue de la conclusion de la transition, la MONUC se chargeait de contenir les velléités des différents belligérants et autres groupes armés déterminés à perturber le processus transitionnel. L’implication de la MONUC dans le processus de transition a été davantage évidente dans le cadre du référendum constitutionnel et des élections de 2006. A ce sujet, l’appui logistique de la MONUC – matérialisé à travers le prêt de son charroi aéronautique à la Commission Electorale Indépendante (CEI) – a été essentiel à la tenue réussie de ces consultations.
Troisièmement, la MONUC et la MONUSCO ont été des acteurs majeurs dans les processus de réforme des secteurs de justice et de sécurité, particulièrement dans leurs volets relatifs à la formation d’une nouvelle armée et d’une nouvelle police ainsi que le processus de démobilisation, désarmement, réintégration, réinsertion et rapatriement (DDRRR).
Quatrièmement, l’appui de la MONUSCO aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) a été un facteur déterminant dans la défaite du Mouvement du 23 Mars (M23), le groupe rebelle derrière la « quatrième guerre du Congo » entre 2012 et 2013.
Enfin, en plus des objectifs centraux de leurs mandats respectifs, reflétés dans les réalisations évoquées ci-haut, la MONUC et la MONUSCO ont aussi contribué, et de manière significative, au processus global de consolidation de la paix en RDC, à travers notamment la réhabilitation des infrastructures (écoles, hôpitaux, aérodromes…), la provision des services sociaux de base, l’accès à l’information grâce à la Radio Okapi, etc.
C’est cette inadéquation initiale des moyens et du mandat de la MONUC qui explique l’impuissance de cette force internationale lors des affrontements entre les armées ougandaise et rwandaise en 2000 pour le contrôle de la ville de Kisangani et face à la crise dans le district de l’Ituri presqu’à la même période.
Cependant, sans préjudice aux réalisations mentionnées ci-haut, il est important de reconnaitre que les actions de la MONUC et de la MONUSCO n’ont pas été exemptes de critiques. Dès le départ, le contexte même et les modalités du déploiement de la MONUC en fin 1999 lui avaient déjà fait porter ce que l’on peut qualifier de « malformation congénitale ». En effet, du fait de l’opposition de certaines puissances occidentales à l’idée même du déploiement d’une mission de maintien de la paix en RDC, la MONUC ne fut déployée que très lentement et avec des niveaux de troupes et un mandat largement faibles. Ceci eut pour conséquence de priver la MONUC de toute capacité réelle de dissuasion vis-à-vis des parties belligérantes impliquées dans la deuxième guerre du Congo. C’est cette inadéquation initiale des moyens et du mandat de la MONUC qui explique l’impuissance de cette force internationale lors des affrontements entre les armées ougandaise et rwandaise en 2000 pour le contrôle de la ville de Kisangani et face à la crise dans le district de l’Ituri presqu’à la même période. C’est en admission de cette impuissance que le Conseil de Sécurité autorisa, en mai 2003, le déploiement de l’Opération Artémis avec la mission de la pacification de la ville de Bunia et de ses environs.
Dans la même optique d’impuissance, la MONUC, et bien sûr la MONUSCO après elle, a fonctionné avec des effectifs largement en deçà des besoins qu’exigeaient à la fois la (vaste) superficie du théâtre d’opération et la complexité de la crise à résoudre. En se référant, par exemple, à la Sierra Léone, au Liberia et à la Côte d’Ivoire, trois pays avec une superficie combinée cinq fois plus petite que la RDC mais ayant chacun accueilli au moins 10.000 soldats de maintien de la paix de l’ONU pour résorber leurs crises respectives, on se rend vite à l’évidence que la MONUC et la MONUSCO ne pouvaient pas être suffisamment efficaces avec des effectifs en troupes inférieurs à 50.000.
Un autre élément inquiétant dans la performance de la MONUC et de la MONUSCO a été leur lecture volontairement minimaliste des mandats leur conférés par le Conseil de Sécurité. En effet, qu’il s’agisse de tueries de Bunia en 2003, de massacres de Kiwanja en 2008, de la vague de viols aux environs de Luvungi en 2010 ou encore de la prise de Goma par le M23 en 2012 – pour ne citer que ces cas parmi de nombreux autres – les troupes de l’ONU ont affiché une passivité frisant la complicité. Beaucoup d’observateurs s’étaient alors interrogés si le prolongement de la crise en RDC – ironisé dans l’expression « no Nkunda, no job » – ne participait pas d’un agenda invisible des pays contributeurs des troupes de la MONUC et de la MONUSCO, prompts à décrier l’hostilité du théâtre des opérations mais toujours enclins à y demeurer pour des raisons évidentes.
…malgré les espoirs suscités, la MONUSCO n’a excellé ni dans la protection des civils, ni dans la traque des groupes armés, les deux missions pourtant centrales de son robuste mandat.
Et lorsqu’il était devenu impossible à la MONUSCO de s’offusquer derrière une lecture minimaliste de son mandat, au lendemain de l’adoption de la Résolution 2098, le prétexte trouvé a été celui de l’impossibilité de la collaboration entre les troupes de l’ONU et les FARDC du fait de l’implication de certains éléments de ces dernières dans les violations graves des droits humains. Ce choix de politique de la part de l’ONU eut pour conséquence la totale paralysie de l’action de la Brigade d’Intervention dès le lendemain de la défaite du M23. Dans ce contexte, malgré les espoirs suscités, la MONUSCO n’a excellé ni dans la protection des civils, ni dans la traque des groupes armés, les deux missions pourtant centrales de son robuste mandat.
Enfin, la MONUC et la MONUSCO ont, chacune en ce qui la concerne, accordé moins d’importance à la tâche de formulation d’une stratégie de départ, suscitant ainsi de la part des autorités congolaises l’accusation de vouloir s’éterniser dans leur pays et de le cogérer avec elles.
….le manque d’engagement constant des acteurs impliqués, soient-ils étatiques ou non-étatiques, congolais ou étrangers, a constitué un frein à la réussite de l’action de la MONUC et de la MONUSCO.
Toutefois, il serait un manque d’objectivité que de ne pas placer les contre-performances de la MONUC et de la MONUSCO relevées ci-haut dans le contexte des écueils les ayant façonnées. D’abord, la question des faibles effectifs rappelée plus haut a limité la capacité d’action de la MONUC et de la MONUSCO. Ensuite, le manque d’engagement constant des acteurs impliqués, soient-ils étatiques ou non-étatiques, congolais ou étrangers, a constitué un frein à la réussite de l’action de la MONUC et de la MONUSCO. Si le gouvernement congolais s’est illustré dans l’art de blâmer la MONUC et la MONUSCO pour ses propres échecs face à ses responsabilités régaliennes de préservation de l’intégrité territoriale et de maintien de la paix sociale, certains Etats voisins et groupes armés ont fait de l’échec de la MONUC et de la MONUSCO un de leurs objectifs. Les attaques meurtrières perpétrées contre des unités de la Brigade d’Intervention ont participé de cette logique. Enfin, la nature continuellement conflictuelle des relations entre le gouvernement et la MONUC et la MONUSCO a fini par faire de la question du départ de ces missions un instrument de menace entre les mains du gouvernement au lieu d’être un objectif stratégique sur lequel l’Etat congolais et l’ONU devaient rechercher un compromis hors des pressions et des tensions.
En conclusion, il est important de reconnaitre que l’avènement du Président Félix Antoine Tshisekedi au pouvoir en janvier 2019 semble avoir ouvert une (petite) fenêtre d’opportunités concernant le travail de la MONUSCO. La nouvelle administration a affirmé sa volonté d’œuvrer en vue de l’amélioration des rapports entre l’Etat et la MONUSCO. Pour sa part, la MONUSCO se dit prête à travailler sur une stratégie de sortie qui prenne en compte l’implication de son éventuel départ pour la stabilité à long terme de la RDC.
…il est impérieux que le gouvernement congolais assume pleinement ses responsabilités en matière de pacification et de stabilisation, par tous les moyens nécessaires, de son territoire.
Cependant, pour que ces deux engagements ne se transforment pas en simples vœux pieux, il est impérieux que le gouvernement congolais assume pleinement ses responsabilités en matière de pacification et de stabilisation, par tous les moyens nécessaires, de son territoire. C’est à cette seule condition qu’il sera dans une position confortable d’astreindre la MONUSCO au strict respect de son mandat tel que défini dans les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité. Mais, par-dessus tout, le temps est venu pour l’Etat congolais, à travers tous ses services compétents, non seulement de procéder à une évaluation globale de l’action de la MONUC et de la MONUSCO, mais aussi de commencer une réflexion profonde sur le processus d’un départ responsable et séquencé de la MONUSCO, une mission qui n’aura que trop duré dans le pays de Patrice Emery Lumumba.