DIPLOMATIE RDC / BELGIQUE : La dent qui réclame justice ?

Une dent. Pour une dent, à cause d’une dent, des millions de dollars américains ont été dilapidés, des énergies ont été mobilisées, le Gouvernement s’est déplacé, et, même, le seul airbus de Congo Airways a été réquisitionné pour aller chercher une dent, la dent du tout Premier premier ministre de la République Démocratique du Congo, mettant ainsi à mal le trafic aérien dans le pays. A quoi ça rime ? Cette question, plusieurs personnes se la posent.

En janvier 1961, Patrice Emery Lumumba est assassiné avec ces deux compagnons, Joseph Okito et Moïse Mpolo, près de Elisabethville, actuel Lubumbashi (au Katanga). Son corps n’a jamais été retrouvé. Les informations à notre disposition précisent que son corps a été dissout dans un tonneau plein d’acide. Parmi les exécutants de cet acte ignoble, un des bourreaux prendra le luxe d’arracher une dent de la victime et de la garder comme trophée. En réalité, pour des tueurs professionnels, une partie gardée du corps de la personne tuée, est une preuve pour prouver réellement que le travail a été bien fait. C’est cette dent qui, aujourd’hui, soixante et un ans après, devient l’enjeu de tous les enjeux politiques entre le colonisateur et le colonisé, la République Démocratique du Congo et la Belgique.

La remise de la dépouille de Patrice Emery Lumumba, ou mieux les reliques de Patrice Emery Lumumba, laisse planer une ombre des doutes et des questionnements. C’est en tout cas ce qui transparaît de l’oraison funèbre de Juliana Lumumba lors de la remise de cette « dent »

« …Nous tes enfants, tes petits enfants, tes arrières petits enfants, mais aussi le Congo, l’Afrique et le monde, nous pleurions ta disparition sans avoir fait d’oraison funèbre. Père, comment es-tu mort ? On ne sait pas. Quand es – tu mort ? On ne sait pas. Où as tu été assassiné ? On ne sait pas non plus. Qui t’ont assassiné et pourquoi ? On cherche encore. Tout ce que nous savons, Père, ce que tu as été condamné par tes bourreaux à demeurer un défunt sans inhumation, un corps sans chair ni ossement, une âme en perpétuelle errance, un héros sans panthéon, un objet sépulcrale sous séquestre de la justice, sans l’ombre d’une tombe pour le repos éternel, n’ayant qu’une date comme tombeau, le 17 janvier 1961… »

Cet extrait de l’oraison funèbre de la fille de Patrice Emery Lumumba, nonobstant les remerciements et le sentiment d’infinie gratitude à l’endroit du Roi Philippe de la Belgique lancés par cette femme, trahit un sentiment selon lequel la famille cherche, veut savoir ce qui s’est réellement passé ce 17 janvier 1961. Mais aussi, il transparaît un besoin de réparation des préjudices causés.

« …A cet effet, le plus bel hommage que nous pouvons rendre à Patrice Emery Lumumba et ses collègues Joseph Okito et Moïse Mpolo, c’est de nous montrer digne de leur legs. Ce qu’ils attendent de nous, ce ne sont pas d’incessants regrets, ce ne sont plus des perpétuels sanglots, mais un ferme serment, celui de continuer le travail resté inachevé… »

Quel est ce travail resté inachevé ? Sûrement, se battre pour la vraie indépendance de la République Démocratique du Congo.

Après la cérémonie organisée en Belgique, les langues se délient pour philosopher sur le vrai sens de cette démarche de la Belgique et les vraies motivations des autorités congolaises.

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Pour Donatien ALIPANAGAMA ANANGAME, journaliste, la restitution des reliques de Lumumba est une bonne chose. C’est une façon pour les belges de panser la plaie ouverte que les congolais avaient il y a de cela 61 ans. Mais, pense t – il, quel est le procès qui a été fait pour condamner sur le plan national et international la Belgique pour indemnisation non seulement de sa famille biologique mais aussi de toute la nation congolaise et de ses compatriotes avec qui il a été assassiné, notamment Joseph Okito et Moïse Mpolo. Mais aussi il se pose la question de savoir si la dent est réellement celle de Lumumba.

« … la dent qu’on nous amène, qu’est ce qui prouve que c’est une dent qui appartient réellement à Lumumba, car aucun examen scientifique sur l’ADN n’a été fait pour prouver que cette dent appartenait à Lumumba… »

Ce point de vue de Donatien ALIPANAGAMA ANANGAME rejoint celui de Hubert MOLISO NENDOLO, juriste. Pour lui, les belges se moquent des congolais en remettant une dent non authentifiée et, selon lui, le régime actuel se frotte les mains pour une occasion de plus de détournement.

En parlant de l’authenticité de la dent, le Professeur Alphonse Maindo se pose la question de savoir si on a pu s’assurer que la personne qui dit que c’est une dent de Patrice Lumumba, a dit la vérité. Est ce qu’on a pu vérifier, on a fait des test ADN pour dire que cette dent là appartient réellement à Patrice Lumumba. Parce que, selon lui, quelqu’un pourrait nous dire que c’est la dent de Patrice Lumumba pour se donner de l’importance.

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Des calculs pour les prochaines échéances électorales ?

Au delà de ces points de vue comme citoyen congolais, le Professeur Alphonse Maindo, en sa qualité d’analyste politique, va plus loin en tenant compte du choix du moment choisi pour rendre cette dent de Patrice Emery Lumumba à la RDC.

« …Nous sommes au mois de Juin 2022, à quelques encablures des 2023 qui est une année très électorale. On connaît le bilan du régime actuel. Le bilan n’est pas celui qu’on aurait du attendre. Est ce que ce n’est pas aussi une manière de montrer qu’il y a des résultats qu’on a réussi à obtenir, ce qui n’a jamais été fait depuis des longues années : rapatrier les restes de notre héros national. Ce qui contribuerait, vu l’icône qu’est cette personnalité, à raviver les gens qui pourront dire que « peut être on peut lui donner encore cinq ans pour continuer à faire des œuvres ». C’est une stratégie pour s’attirer la sympathie d’une franche des gens qui a cru ou qui croit encore en Lumumba, à son idéologie nationaliste ou unitariste et qui était prêt à donner sa vie pour l’intérêt national. Je me pose des questions sur le choix de ce moment. En ramenant les restes de Lumumba, ce n’est pas un acte anodin…»

Olivier Maloba, opérateur culturel, pense que cet acte de la Belgique constitue une reconnaissance du crime commis par elle. Par ricochet, réparation s’impose.

« …la Belgique qui reconnaît l’assassinat de Patrice Emery Lumumba, devra envisager un paiement… »

Culturellement, explique Olivier Maloba, le fait que les restes de Patrice Emery Lumumba soient enterrés en RDC, signifie que l’esprit de ce dernier est ramené vers la terre de ses ancêtres. Mais il estime que les dépenses engagées dans cette saga funéraire pouvaient être orienter vers d’autres secteurs pour améliorer le social des congolais. Au lieu de faire circuler les reliques dans toute la république, elles devaient rester à Kinshasa.

«…En Afrique, nous disons que les esprits communiquent. Nous pouvons communiquer même à distance… »

Un observateur averti se demande qu’est ce qui ne marche pas avec certains africains. Pour lui, c’est un crime contre l’humanité que la Belgique déguise en convivialité politique, et le bourreau vient remettre les restes du butin du crime. C’est une honte, déclare – t – il.

« …au nom de Lumumba et du combat qu’il a mené, ce n’est pas une histoire de famille. Lumumba n’est pas mort pour sa famille. C’est un patrimoine international. Au nom de Lumumba, nous dénonçons ça…Il est inacceptable que la dent de Lumumba soit remis dans ces conditions. Je réclame la justice pour Lumumba… Tôt ou tard, justice sera faite et tous ces crimes seront punis…»

Ce qui est sûr, le retour de cette dent semble ouvrir un nouvel épisode dans la saga Lumumba.

La Rédaction.

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