Plusieurs deuils dans le deuil …

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Enfin la relique du légendaire Patrice Emery Lumumba, fût-elle une seule dent, en terre congolaise avant d’être mise en terre. Enfin, le deuil dont le point culminant sera les obsèques à la taille de l’illustrissime disparu. Légitime.

Problème, beaucoup d’eau ayant coulé sous le pont du majestueux fleuve Congo depuis six décennies, pas évident que les désormais plus de 100 millions de Congolais ne pleurent que Patrice Lumumba. A travers ce dernier, chacun pleure en effet celui ou ce qu’il a perdu de précieux.

Il y en a qui pleurent à chaudes larmes le parent, le nationaliste-patriote ou le panafricaniste qu’a été Lumumba. Il en est qui, même outre-tombe, versent des larmes de crocodile.

Dans ce pays de toutes les démesures, on trouve aussi -et de plus en plus- des pleureurs et pleureuses professionnels qui s’invitent dans tous les deuils à forte valeur ajoutée. Ainsi va l’histoire des deuils chantée depuis la nuit de temps par des artistes d’ici et d’ailleurs. Des chansons cultes en la matière comme » Mokolo nako kufa » de Rochereau, « Masha Masha »de Ndombe Opetum, ou » Mabele » de Lutumba illustrent bien ces deuils à plusieurs vitesses… dans le deuil. La relique du Héros national retrouve donc un pays aux mille et un deuils.

D’abord, plus trivialement, la boutade de feu Mungul Diaka qui, manifestement survit à son géniteur. » Le pays est en deuil « , aimait à dire l’ancien gouverneur de Kinshasa pour expliquer la déglingue généralisée du pays . Plus d’un quart de siècle plus tard, à cette raison du deuil se sont agrégées d’autres.

Sevré contre son gré de » sa rente parlementaire » , Joseph Kabila a des raisons de faire son deuil à Kingakati comme à Kashamata. En silence. Après tout, il n’a pas fallu attendre la tragédie » Hyppolite » de Sénèque pour savoir que les grandes douleurs sont muettes. Avec JKK, c’est toute la kabilie qui a mis le drapeau en berne depuis.

Les autres hérauts et héros de l’ « alternance pacifique » que la » révolution » a bouffés observent aussi, chacun à leur manière, le deuil. Même si l’un d’entre ces compagnons de l’épopée de Genève et Nairobi et faiseur de rois au seuil de l’ère Fatshi, en l’occurrence Vital Kamerhe, vient d’être lavé plus blanc que neige par la Justice, pas sûr cependant que cet acquittement spectaculaire annihile tous les motifs du deuil.

Dans la même série, un deuil peut en cacher d’autres, tous ces tshisekedistes pur jus scotchés à Limete qui voient des fatshistes mikilistes parader dans les allées du pouvoir à Gombe. En pleurs aussi, tous les kabilistes convertis à la va-vite au » bétonisme » sans catéchèse attendent toujours -comme Godot ?- leur place au paradis.

Last but not least, la palme du deuil XXL revient aux …sans-dents que constitue la majorité silencieuse. N’ayant rien à se mettre sous la dent à part les tonnes de promesses non tenues qui s’amoncellent, ces Congolais d’en bas font le deuil de la » condition humaine « , façon Malraux. En clair, les chaudes larmes qui coulent sur leurs joues décharnées ne renvoient pas qu’au martyr de Lumumba. Ces pleurs résonnent comme en échos à ceux des enfants du Kivu en deuil quasi permanent depuis un quart de siècle.

Mort pour la souveraineté et donc l’intégrité territoriale, Patrice Lumumba aurait puisé dans le lexique biblique pour interpeller ses compatriotes en paraphrasant Jésus de Nazareth : » Femmes de Bunagana, ne pleurez pas sur moi, pleurez plutôt sur vous et vos enfants « .

De fait, dans ces deuils dans le deuil, les Congolais habitant l’Est du pays versent des torrents de larmes davantage pour des millions de victimes de la folie meurtrière de Paul Kagamé que pour le supplice de leur premier Premier ministre. Une hiérarchie victimaire que le très altruiste Héros national aurait parfaitement comprise.

José NAWEJ

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